Détection du mensonge

Le coût du mensonge au sein des organisations et de la société en général est effrayant. Avec les bonnes connaissances et compétences, vous pouvez mieux vous protéger et détecter le mensonge afin de réduire les coûts associés. Mais au final le mensonge, qu’est-ce que c’est et comment est-il détecté ? Explorons ensemble les différentes raisons pour lesquelles les humains mentent, et comment vous pouvez vous protéger de celui-ci dans votre vie personnelle et professionnelle.

Comment détecter le mensonge

1. Qu’est-ce que le mensonge ?

Nous entendons parler de mensonges et de tromperie au quotidien. Que ce soit dans le cadre de nos relations personnelles, professionnelles ou bien encore dans de récents articles parus dans les médias et portant sur les débats politiques, le mensonge (ou le mensonge potentiel) est constamment mis en évidence.

On pourrait donc penser, compte tenu de son caractère commun et de la fréquence avec laquelle nous y faisons référence dans notre langage quotidien, que nous aurions une définition commune de ce qu’est le « mensonge » pour l’ensemble des domaines des sciences sociales. Nous savons tous ce qu’est un « mensonge », n’est-ce pas ? Cependant, c’est loin d’être aussi évident si on y regarde de plus près. Et si nous adoptons un point de vue plus philosophique, ce concept même devient encore plus confus et, une définition est encore moins claire. Allons donc jeter un œil à quelques idées sur ce concept et nous présenterons ensuite la définition pratique que nous avons l’intention d’utiliser comme base pour le reste de cet article.

Une définition simple du mensonge proposée par Larousse (2019) est, une « Assertion contraire à la vérité ».

Un problème avec cette définition est qu’elle se concentre sur un seul type de mensonge, la « falsification ». Dans cette dernière, nous transmettons de l’information (sous forme de déclaration) dans l’intention d’induire en erreur. Cette définition ne semble pas s’appliquer aux mensonges par « omission » ou par « dissimulation », c’est-à-dire qui consistent à mettre de côté ou cacher des informations qui auraient pu être partagées pour clarifier la vérité d’une déclaration.

Une autre définition, tirée cette fois de Bok (1978), est « …tout message intentionnellement trompeur qui est énoncé ». Encore une fois, nous voyons ici la similitude avec la définition précédente dans la mesure où la définition fait allusion au menteur qui « fait une déclaration » trompeuse. Mais ce que ces deux définitions ont aussi en commun, c’est la notion d’intention. Il y a une intention délibérée de la part de l’auteur du mensonge de tromper un destinataire. Cela permet d’exclure de la catégorie des « menteurs » les personnes mal informées, naïves, trompées ou qui se trompent elles-mêmes, car elles ne transmettent pas nécessairement des renseignements qu’elles croient être faux. Ici, ils induisent en erreur le destinataire de manière involontaire.

Élargissons maintenant cette définition, en nous rapprochant de notre définition de travail. DePaulo & Malone (2003) nous proposent « une tentative délibérée d’induire les autres en erreur ». Celle-ci contient la notion d’intention (tentative délibérée) et pourrait aussi être utilisée dans une discussion portant sur les mensonges par omission, dissimulation et par falsification. Cependant, peut-être est-ce un peu trop large. Si, par exemple, vous allez voir une pièce de théâtre et qu’un acteur présente son personnage sur scène de façon si convaincante qu’il vous entraîne dans son histoire, nous pourrions dire, selon cette définition, qu’il ment. Ils ont délibérément tenté (avec succès) de vous induire en erreur, ne serait-ce que pour une courte durée. Alors, comment pouvons-nous exclure les acteurs par exemple, et autres personnes de ce type de la catégorie des « menteurs » ?

Avec la définition suivante proposée par Vrij (2008), nous nous rapprochons un peu plus de notre objectif final, déclarant que le mensonge est « ….une tentative délibérée avec ou sans succès, sans avertissement préalable, de créer chez l’autre une croyance que le communicateur considère comme fausse ».

Nous avons donc ici une définition qui couvre l’intention, induisant les autres en erreur, en leur faisant croire quelque chose que le menteur sait être faux, et aussi « sans avertissement préalable ».  Dans le cas de l’acteur, nous savons qu’ils visent à suspendre votre croyance pour la durée de la pièce. Par conséquent, ils ne sont pas dans le mensonge. Cette définition ajoute aussi que le succès (ou non) de la tentative de mensonge, est une communication trompeuse quelque en soit le résultat.

Au final, la définition que nous adopterons, car à la fois complète et opérationnelle, est à la fois en accord avec Vrij et est à la fois plus simple. Nous avons opté pour la définition proposée par Ekman (2009) qui est « une personne tentant d’en tromper une autre, délibérément, sans notification préalable de cet objectif  » .

En résumé, et avec cette définition finale, nous pouvons maintenant voir que le mensonge (ou la tromperie) implique que quelqu’un tente intentionnellement, d’induire en erreur une ou plusieurs autres personnes, sans leur connaissance ou leur consentement. Cela peut se faire soit en falsifiant une histoire ou un récit, c’est-à-dire en inventant quelque chose, soit en cachant et en omettant des informations qui auraient pu ou dû être partagées. C’est la raison pour laquelle de nombreux tribunaux dans le monde demandent à quiconque fait une déclaration d’accepter de dire « …la vérité, la vérité ENTIERE, et rien que la vérité ».

2. Pourquoi mentons-nous ?

Nous avons défini ce que nous entendons par « mensonge » et « tromperie », mais pourquoi le faisons-nous ? Repensez à la semaine dernière. Combien de fois avez-vous menti ? Et durant ces dernières 24 heures ? Peut-être même durant l’heure qui vient de s’écouler ?

Le mensonge fait partie intégrante de nos échanges quotidiens, que ce soit sous une forme ou sous une autre. A moins bien entendu que vous ne soyez Eli Loker, le personnage fictif de la série télévisée « Lie to me » (Roth & Hines, 2009), qui pratique « l’honnêteté radicale », avec plus ou moins de succès et de conséquences…

Mais, tous les mensonges sont-ils mauvais ? Au risque de créer un débat éthique et moral, on peut considérer qu’il serait difficile de passer 24 heures (sans parler d’une semaine) sans un mensonge sous une forme ou une autre (toujours sur base de notre définition).

Si vous êtes parents, vous pouvez par exemple, « mentir  » à vos enfants sur l’existence d’êtres mythiques qui apportent des cadeaux ou des œufs en chocolat. Mais, parents ou non, pensez à ces petits mensonges altruistes, ces petits mensonges pieux que nous racontons pour éviter de blesser quelqu’un ou pour le protéger de la douleur de la vérité.

En voici quelques exemples :

  • « Ce n’est pas si mal… », après qu’un(e) ami(e) vous ait montré les résultats de sa nouvelle coupe de cheveux.
  • « On devrait prendre un café un de ces jours… », après avoir rencontré une vieille connaissance du lycée mais que vous n’avez jamais vraiment aimée.
  • « C’était délicieux ! », après avoir fait un effort pour terminer un repas sans goût préparé par votre conjoint ou votre belle-mère.
  • « Ca va… », à la question de la réceptionniste du bureau qui vous demande comment vous vous sentez alors que vous vous sentez vraiment mal et que vous passez une journée plutôt stressante.

Aucun de ces exemples n’est malveillant. Ils servent à évoquer quelque chose de manière à éviter d’offenser, de heurter les sentiments d’autrui et ainsi éviter un échange social potentiellement gênant.

Nous appelons ce genre de mensonges des « lubrifiants sociaux », car ils assurent le bon fonctionnement des choses. Si tout le monde était aussi franc qu’Eli Loker (voir ci-dessus), nos vies seraient certainement très différentes. Que ce soit en mieux ou… en moins bien, je vous laisse y réfléchir.

Par conséquent, nous séparons les mensonges en mensonges avec conséquences (graves) et sans conséquence (grave). Ceux évoqués précédemment entrent généralement dans la catégorie des sans conséquence. Mais ce n’est peut-être pas le cas pour les mensonges de nature plus malveillante ou intéressée. Ces mensonges racontés pour éviter la punition, pour obtenir un gain personnel (même aux dépens d’autrui), pour rejeter le blâme sur une autre personne qui ne le mérite pas, etc.

Ces types de mensonges peuvent avoir des conséquences beaucoup plus graves, ayant dans certains cas un impact sur la carrière, les relations personnelles ou professionnelles et pouvant même porter préjudice à l’intégrité physique d’une personne.

3. Pourquoi détecter le mensonge ?

Quelles pourraient être les conséquences d’un mensonge non détecté et pourquoi voudrions-nous développer notre capacité de détection ?

Pensez aux coûts du mensonge dans les entreprises. Qu’il s’agisse d’un différend au sein d’une équipe, d’un entretien de performance, d’une enquête suite à une plainte pour harcèlement ou d’une erreur de recrutement d’un cadre supérieur au sein de l’entreprise. Il existe de nombreuses occasions dans lesquelles nous pouvons être confrontés au mensonge. Le coût et les impacts de ces mensonges ne sont pas faciles à quantifier par contre, leurs présences et leurs impacts sont reconnus.

Si l’on considère uniquement les coûts de recrutement, qui comprennent l’analyse des besoins, la recherche de candidats, la présélection des candidats, les entrevues et l’offre, cela peut entraîner des coûts significatifs. Mais, si l’on ajoute à cela le fait qu’une grande partie de la population considère qu’il est acceptable « d’améliorer » ses compétences, ses qualifications, etc. sur un curriculum vitae (par exemple Wexler, 2006), la détection de la fraude pendant le processus de recrutement devient une compétence essentielle pour les recruteurs. Cette compétence permettrait d’éviter de gaspiller des ressources (temps, énergie, budget,…) dans des processus de sélection inutiles et ainsi de prévenir l’intégration de candidats inadaptés.

Il y a d’autres professions dont le cœur de métier dépend en grande partie de la détection du mensonge. Il s’agit d’une compétence clé dans les domaines de l’investissement, de la négociation, de la vente, du conseil stratégique, pour n’en nommer que quelques-uns.  Ces fonctions nécessitent d’avoir la bonne information afin d’être en mesure de prendre la bonne décision.

Les secteurs de la sécurité, de la police et de l’armée sont des domaines dans lesquels il apparaît comme évident qu’il est nécessaire d’être en mesure de faire la distinction entre la vérité et le mensonge. Des décisions, littéralement de vie ou de mort, sont prises dans ces domaines afin de garantir la sécurité au niveau individuel, national et même international.

Dans ce contexte, si nous allons encore plus loin dans notre réflexion sur ces domaines, nous pouvons considérer ici deux aspects essentiels du processus de détection de la tromperie et du mensonge et mêmes des actes malveillants.

Premièrement, la détection et l’identification de personnes qui peuvent avoir l’intention de nuire, tel un terroriste par exemple. Connu sous différentes appellations telles que « détection primaire », « profilage préventif » ou encore « predictive profiling », ce processus implique l’observation et l’analyse de groupes et de foules (comme dans les villes, les lieux publics (ERP) et les centres de transport tels que les aéroports) en vue d’identifier les individus potentiellement malveillants qui pourraient avoir l’intention de causer des dommages aux personnes ou aux installations.

Deuxièmement, et dans ce cadre, la détection de mensonges éventuels lors du contact (engagement) initial ou ultérieur avec un individu identifié lors du processus préalable. Cela peut se faire soit au travers d’une conversation informelle et potentiellement sous couverture. Cette conversation a pour objectif d’obtenir des informations de la personne évaluée sans questions directes. Soit, dans un contexte d’entretien plus  formel dans lequel les rôles de l’intervieweur et de la personne interviewée sont clairement identifiés.

Dans ces secteurs, les conséquences éventuelles causées par une erreur lors de la détection primaire (profilage préventif) ou de l’engagement sont malheureusement assez répandues, comme en atteste malheureusement certains faits relatés dans les médias. Par conséquent, il est essentiel d’arriver à bien distinguer le vrai du faux, la vérité du mensonge dans ces contextes, car cela peut sauver des vies.

Enfin, dans ce contexte, un individu qui aurait été arrêté fera peut faire l’objet d’un procès et éventuellement d’une condamnation. Là encore, de nombreuses déclarations seront faites par l’accusé et par la défense, ainsi que par l’accusation et les victimes potentielles, les témoins et les experts. À partir de là, des décisions doivent être prises quant à la crédibilité et à la véracité des diverses déclarations afin de prendre une décision sur la culpabilité potentielle et les peines encourues. Bond et Depaulo (2006) ont effectué une méta-analyse sur l’exactitude des jugements portant sur l’évaluation de la vérité et ce sur divers types de populations, y compris parmi ceux-ci des juges, des avocats et des policiers. Au final, il apparut que le taux moyen d’exactitude était de 54%. Compte tenu des implications et des conséquences que ces types de décisions peut avoir, un taux d’exactitude à peine supérieur à celui que l’on obtiendrait en tirant à pile ou face est inquiétant…

Au quotidien, nous côtoyons différentes personnes telles que des amis, des proches, ainsi que des personnes dans le cadre professionnel. Et donc, développer notre capacité à détecter le mensonge pourrait également permettre de prévenir certains « désagréments ». Un conjoint qui nous trompe, un adolescent qui expérimente avec des substances illicites, un vendeur de voitures qui tente de nous vendre une voiture connue pour avoir de nombreux problèmes,… Il ne s’agit ici que de quelques exemples d’application dans notre vie de tous les jours.

Cependant, au fur et à mesure que nous apprenons à lire et décoder nos interlocuteurs, et que nous commençons développer notre capacité à analyser les comportements avec pour objectif de tirer le vrai du faux, nous devons faire attention. Il est très facile de devenir cynique, de développer un biais pour repérer la tromperie et aussi d’écarter les indices qui iraient contre notre première lecture. Cela peut en soi, avoir des conséquences négatives. Il est possible que cela développe une certaine méfiance et même engendre des ruptures dans la communication et dans ses relations. Nous devons garder un équilibre objectif lorsque nous évaluons la véracité, la crédibilité et le mensonge, surtout si nos amis et nos proches sont impliqués. Parfois, ne rien dire et ne rien faire est la meilleure chose à faire. Mais cela dépend beaucoup du contexte.

4. Comment détecter le mensonge ?

Un peu d’histoire.

Au cours des derniers siècles, on trouve de nombreux exemples de « méthodes de détection de mensonges » inventées par l’Homme. Celles-ci vont de la barbarie aux méthodes les plus étranges.

  • Un des premiers exemples porte sur une méthode utilisée dans l’Angleterre médiévale et qui portait le nom de « Trial by Cold Water», que l’on pourrait traduire par le « procès par l’eau froide ». Cette méthode consistait à attacher l’accusé à une chaise et à le jeter à l’eau. Si l’accusé coulait et se noyait, il était considéré comme innocent. Tandis que s’il flottait et parvenait à rester en vie, cela était un signe de culpabilité, engendrant bien entendu, une sentence considérée comme appropriée.
  • Le procès par le métal brûlant, était un peu différent. L’accusé devait tenir un morceau de métal brûlant à mains nues. Les blessures étaient ensuite bandées et étaient laissées trois jours avant d’être inspectées. Si la blessure était guérie convenablement après trois jours, l’accusé avait gagné le procès (bien que sa réputation serait entachée à jamais). Par contre, si la blessure n’était pas guérie, l’accusé était jugé coupable et se faisait ensuite couper le pied droit (et potentiellement la main).
  • Parmi les exemples les plus étranges, on peut citer une méthode de l’Inde ancienne, selon laquelle un prince hindou réunissait un groupe de suspects dans une chambre. Ils étaient conduits un par un dans une pièce sombre où ils rencontraient un âne ou âne sacré. Cet âne était spécial, en ce sens que si sa queue était tirée, il ne brairait que si la personne qui la tirait était un menteur. Ainsi, un par un, les individus entraient dans la pièce et réapparaissaient. Cependant l’idée était que, un seul des suspects reviendrait avec les mains propres… en effet, l’histoire raconte que le Prince aurait enduit la queue de l’âne avec de la peinture, présupposant ainsi que le coupable (menteur) ne risquait pas de la tirer et qu’il serait donc pris par le fait d’avoir par les mains propres.

Heureusement, ces temps sont révolus et tout cela a bien changé. Notre compréhension du comportement humain s’est également améliorée avec le temps et continue de le faire.

Aujourd’hui, nous pouvons examiner à la fois la technologie et l’observation / l’analyse humaine afin d’évaluer la véracité d’un individu.

La technologie

Une combinaison de ces éléments est toutefois préférable, car la technologie à elle seule s’est avérée être peur efficace, avec une fréquence élevée de  » faux positifs « , c’est-à-dire une mauvaise appréciation d’une personne qui dit la vérité comme étant un menteur ou une menteuse. La méthode technologique la plus connue pour tenter de tester la tromperie est le « polygraphe ». Cet équipement mesure les réponses psychophysiologiques (p. ex. fréquence cardiaque, tension artérielle, transpiration) dans le but d’identifier un changement dans ces réponses qui pourrait indiquer une réponse au stress. Dans le passé, la question qui a entouré le détecteur de mensonges est sa conclusion que le stress ou l’anxiété est probablement lié au mensonge. Cependant, nous savons que l’anxiété peut être causée par de nombreux facteurs différents, et pas seulement par le mensonge (Ekman, 2009). En fait, même les premières études sur l’efficacité du test polygraphique ont mis en évidence des problèmes avec leurs résultats, en soulignant que même si elles pouvaient correctement identifier un menteur avec un taux de précision de 70% à 94%, les autres résultats n’étaient pas aussi favorables. L’identification correcte d’une personne qui dit la vérité pouvait varier de 12 % à 94 %, et les faux positifs allant jusqu’à 75 %.

D’autres technologies sont en cours de développement, comme par exemple l’utilisation de l’EEG (électroencéphalogramme) (p. ex. Farwell & Smith, 2001, Parmar & Mukunden, 2017) ou même l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle), mais dans le cas de ce dernier, un examen critique de l’utilisation des examens IRMf a révélé que, « …dans un avenir proche, l’utilisation éthique et légale de la détection des mensonges par IRMf est susceptible de se limiter aux personnes volontaires, telles que celles qui demandent un acquittement ou une autorisation de sortie après avoir échoué au test polygraphique. », (Langleben, 2008).

L’observation humaine

Les recherches les plus récentes dans le domaine de la détection du mensonge portent sur l’utilisation de l’homme en tant qu’observateur, c’est-à-dire sur « l’analyse comportementale » en temps réel.

Cette question a également fait l’objet de recherches et de discussions approfondies dans des livres, des articles sur le Web et des analyses d’experts en « langage corporel » à la télévision. Certaines de ces recherches reposent sur des éléments et démarches scientifiques. D’autres, par contre, sont beaucoup plus folkloriques dans leur approche et, malheureusement, contribuent à perpétuer de nombreux mythes sur le sujet. Un exemple de cela est le lien entre le fait de se « gratter le nez » et une preuve concrète de mensonge. Il s’agit bien d’un mythe sans fondement scientifique. Un autre concept est celui des axes/mouvements oculaires, rendus populaires par la méthode de développement personnel connue sous le nom de Programmation Neuro-Linguistique (PNL). Dans certaines publications à propos de cette méthode, la direction du regard serait censée être corrélée avec les processus cognitifs tels que la construction d’images/sons, la remémoration d’images/sons, le discours intérieur et certains aspects kinesthésiques. Par conséquent, dans certains cas, à la suite de certains intervenants mal informés, il a été conclu qu’il y avait mensonge (lorsque la direction de la construction d’images/sons était observée). Cependant, ce concept d’axes oculaire a été longuement étudié au cours des dernières années (Wiseman et coll., 2012) et aucune corrélation avec le mensonge n’a été trouvée.

5. Alors que savons-nous ?

Nous savons que l’Homme reste au centre du processus afin d’adopter une approche plus holistique de l’analyse du comportement utilisé pour la détection du mensonge. Nous savons également avec certitude qu’il n’existe pas d’indice unique de mensonge (Ekman, 2009, Vrij, 2008). Chacun d’entre nous est différent et par conséquent, nous nous comportons tous différemment dans différents contextes. Nous réagissons tous de manières différentes en fonctions de la situation, du sujet abordé et de notre état psychologique.

Certains d’entre nous s’en sortent très bien lors d’un entretien formel, tandis que d’autres peuvent montrer une anxiété manifeste dans la même situation. Certains d’entre nous sont capables de mentir s’ils estiment cela nécessaire, tandis que d’autres peuvent considérer l’idée de mentir comme totalement inacceptable d’un point de vue moral.

En même temps, Zucherman et Driver (1985) ont listé quatre éléments qui sont présents lorsque l’on ment :

  • La tentative de contrôle ;
  • L’apparition d’une réaction liée au stress ;
  • Le ressenti d’une émotion ;
  • Le processus cognitif.

Ces éléments sont toujours pertinents dans notre compréhension actuelle du processus. Et, lorsque quelqu’un tente de mentir, ces éléments peuvent être observés/entendus sous la forme de signaux émanant des différents canaux de communication que sont :

  • Le visage : Il est canal principal permettant la lecture des émotions, dont sept sont universelles (Ekman & Keltner, 1970 ; Ekman, 2007 ; Ekman, 2009). Sur celui-ci, nous pouvons observer une « fuite » émotionnelle, indiquant le véritable ressenti de la personne. Ainsi, lors d’un interview par exemple, alors qu’une question clé est posée, on pourra peut-être observer un sourire social sur un visage, et voir apparaître en même temps une expression soudaine de peur et ce, en ½ seconde ou moins, expression connue sous le nom de micro-expression (Ekman, 2009 ; Matsumoto & Hwang, 2011) . Il se peut aussi que le visage affiche une réflexion importante (aussi appelée charge cognitive), comme des sourcils foncés par exemple. Cette information peut être intéressante si elle est observée alors que la question demande une réponse simple.
  • Le corps : Nous utilisons notre corps pour communiquer de nombreuses informations et dans certains cas, même sans utiliser le moindre mot. L’aspect le plus important à considérer avec le langage corporel (body language) est que, contrairement aux expressions faciales des émotions, nous n’avons actuellement aucune preuve scientifique qu’il y ait un aspect universel à celui-ci. Nous devons toujours prendre en compte les références culturelles / sociales / individuelles sur la façon dont les gens utilisent leur corps pour communiquer. Considérant cela, un exemple de « fuite » du corps peut être un haussement d’épaule unilatéral, quand une personne interrogée répond : « J’en suis certain ! ». Le haussement d’épaule unilatéral pourrait être un « micro-mouvement » venant du haussement d’épaules bilatéral plus grand qui a pour objectif de communiquer généralement l’incertitude. Donc dans ce cas présent, ce geste plus subtil est considéré comme incompatible avec le récit.
  • Voix : Ce canal couvre la hauteur, le volume et le ton (qualité) de la voix d’une personne. La voix a la capacité de communiquer des émotions et des éléments du processus cognitif (Ekman, 2007 ; Matsumoto, Frank & Hwang, 2013). Par exemple, si une amie discute d’une relation avec son conjoint et qu’il dit « nous formons un couple formidable », et qu’au même moment vous entendez une diminution du volume ainsi que de la hauteur, plus un ton tremblant de la voix ; vous pouvez considérer que cette affirmation positive est incompatible avec ces changements de voix. Cela indique peut-être de l’incertitude ou de la tristesse. Seules des questions supplémentaires aideront à le découvrir.
  • Style interactionnel : Il s’agit de la façon dont nous utilisons les mots que nous choisissons. Par exemple, la personne interrogée commence-t-elle à argumenter ou devient-elle agressive lorsqu’un sujet particulier est soulevé ? L’utilisation des pronoms de la première personne (je, moi, mon) a-t-elle chuté lorsqu’elle a parlé de ses allées et venues hier soir ? Cela pourrait-il indiquer une distance verbale par rapport à un mensonge ? C’est possible… Mais nous devons garder l’esprit ouvert. Aussi, la personne est-elle soumise à une lourde charge cognitive lorsqu’elle tente de vous répondre ? Si oui… Pourquoi ?
  • Contenu verbal : Quels sont les mots spécifiques utilisés ? À quel point le récit est-il complet ? Y a-t-il peu de détails sur les sujets principaux, ou beaucoup trop de détails compte tenu de la situation ? Si nous écoutons quelqu’un décrire un événement et que, dans une partie du récit, le niveau de détail diminue considérablement, nous devrions envisager de prêter attention à cette section. Pourquoi les détails disparaissent-il ? Grâce à l’analyse du récit et certaines méthodes spécifiques portant sur l’analyse de critères précis, il est possible d’évaluer si une déclaration ou une transcription est crédible ou non. Il s’agit d’une étape importante vers l’évaluation de la véracité d’une personne, même si une déclaration peut « sembler crédible » tout en étant en réalité un mensonge très bien construit. Nous devons utiliser tous les canaux et corroborer les éléments perçus.
  • Psychophysiologie : Ce dernier canal, abordé ici, est habituellement mesurée à l’aide d’outils technologiques, comme le polygraphe par exemple. Mais en étant attentif, l’analyste comportemental peut discerner les signaux visibles et audibles qui nous indiquent une réaction de stress. Les phénomènes visibles peuvent inclure des rougeurs au visage, de la transpiration sur le front, le frottement des mains sur les jambes. Les phénomènes audibles l’éclaircissement de la gorge, des soupirs profonds ou le blocage de la respiration. Cette liste n’est pas exhaustive et il ne faut pas oublier que ces phénomènes ne sont pas des signes de mensonge. Ils peuvent simplement indiquer l’apparition d’une réaction de stress, mais la question demeure… Qu’est-ce qui a causé le stress ? Était-ce le stress d’être en train de mentir en réponse à une question ? Ou était-ce parce que la personne interrogée pense qu’on ne la croit pas lors d’une entrevue stressante et conduite sur un ton agressif ?

Le Dr. Paul Ekman, éminent psychologue américain, est considéré comme «Le meilleur détecteur de mensonge humain au monde». Il a fait de nombreuses recherches et publications scientifiques sur le sujet. Sa vie ainsi qu’un de ses ouvrages (Telling Lies, 1985) ont inspiré la série télévisée « Lie to me ». Il a également été formateur et consultant pour le FBI, la CIA et l’ATF, pour les avocats, les juges et ses méthodes y sont toujours utilisées. Les résultats de ses recherches et ses méthodes ont été condensées dans un protocole d’évaluation de la véracité et de la crédibilité intitulé « ETaC®» (Evaluating Truthfulness and Credibility) qui permet l’évaluation de ces signaux aux travers de 5 de ces canaux .

Nous avons mis au point un modèle déposé d’analyse du comportement verbal, para-verbal et non verbal appelé SCAnR® pour Six Channel Analysis – Real-time ou que l’on peut traduire par « Analyse des Six Canaux en Temps Réel ». Le modèle SCAnR®  permet l’analyse de ces 6 canaux de communication et est validé pour une utilisation dans des contextes où les enjeux sont élevés (tels que la sûreté aéroportuaire,…). Il est enseigné et utilisé par différents département des forces de l’ordre, services de sûreté aéroportuaires, etc.

6. Résumé

Le mensonge est présent dans notre vie de tous les jours. Il peut prendre différentes formes, que ce soit la forme de mensonges pieux, sans enjeux et même altruistes. Mais il peut aussi prendre la forme de mensonges graves et malveillants et ce, à des fins personnelles ou ayant même pour objectif de causer du tort à autrui.

Comme nous le savons, les conséquences d’un mensonge non détecté peuvent être coûteuses, tant sur le plan financier que sur le plan émotionnel, physique et psychologique.

Au travers de cet lecture, nous avons progressé dans notre compréhension du mensonge et de la meilleure façon de le détecter et ce, en adoptant une approche plus rigoureuse et scientifique. Selon nous, les analystes comportementaux devraient être attentif aux six canaux de communication abordés, peut-être en utilisant la technologie comme un outil complémentaire, mais non comme un substitut. L’Homme reste au centre du processus afin d’adopter une approche plus holistique de l’analyse du comportement.

Souvenons-nous qu’il est nécessaire d’adopter une attitude avec un « intérêt réel pour l’autre » afin d’éviter de tomber un style caricatural de l’interrogatoire…

Et le plus important est de garder à l’esprit que les indicateurs que nous pouvons percevoir, doivent attirer notre attention afin de nous permettre de creuser. Il ne s’agit en aucun cas, d’indicateurs uniques de mensonge. Nous devons encore poser des questions adéquates et explorer les sujets où les incohérences qui ont été observées.

Enfin, observer, écouter, repérer, analyser et questionner les indicateurs pertinents s’apprend. Cette compétence peut être développée et mise en œuvre de manière opérationnelle afin de pratiquer l’analyse comportementale de manière professionnelle.

7. Comment développer vos compétences ?

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Références
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